MARIE MOREL
Eléments biographiques prélevés sur le magnifique site de l’artiste, site à visiter de toute urgence : http://www.mariemorel.net
Marie Morel est née le 3 septembre 1954 à Paris. Sa mère est peintre et architecte, son père est écrivain et éditeur ; dès l’enfance, Marie dessine, peint, écrit, tout naturellement dans ce terreau familial ; elle ne s’arrêtera jamais plus.
Robert Morel devant sa maison du Jas - Une oeuvre d'Odette Ducarre
En 1962, la famille s’installe dans un hameau très isolé, « le Jas », dans les Alpes de Haute-Provence, où ses parents installent leur maison d’édition. Le climat familial est d’une grande richesse intellectuelle et artistique, avec beaucoup de rencontres et d’ouverture sur l’art, la littérature, la musique… Marie grandit dans une vie de création et de liberté, tout simplement. Le contact avec la nature est très important.
A 9 ans, ses parents l’amènent à la Biennale de peinture à Venise ; en sortant de là, Marie déclare qu’elle sera peintre.
Vers 12 ans, Marie découvre la musique avec passion. Elle jouera de la flûte traversière et du piano ; par la suite, elle essaiera le violoncelle, l’accordéon et la batterie. Elle prend aussi plaisir à faire du plongeon acrobatique et du ski, mais la plupart de son temps se passe à peindre, à écrire et à réfléchir.
Marie entre à l’école nationale du cirque à Paris ; en même temps, elle va au conservatoire de musique, car ses parents refusent qu’elle entre à l’école des Beaux-Arts (« elle avait déjà tout ce qu’il fallait » disaient-ils, « ils auraient pu l’abîmer ! ») ; elle continue à peindre et à dessiner en même temps ; et fait sa première exposition en 1977.
A 20 ans, Marie décide de faire essentiellement de la peinture, elle expose son travail de plus en plus.
Elle publie, parallèlement à son travail de peintre, une petite revue d’art : « Regard », consacrée aux peintres et aux artistes qu’elle aime.
Elle vit et travaille, depuis 1988, dans un petit village calme et isolé, dans les monts du Valromey.
Ce que nous voulons écrire à propos d’elle :
Marie Morel est enfantée dans l’art. Par des artistes. Elle naît parmi les livres et les tableaux. Elle grandit avec eux. Son père est éditeur, les éditions Robert Morel, c’est lui. Sa mère, Odette Ducarre, est artiste peintre, architecte, directrice artistique des éditions Morel. Il y a dans les œuvres picturales de Marie Morel, par certains aspects, des rappels de la bibliothèque et du secrétaire à tiroirs, il y a, insérées dans la chair de l’œuvre, les belles plumes de la calligraphie et de la transcription, il y a des travaux qui font penser à l’art de la reliure, il y a des semis littéraires et poétiques et la présence transposée d’éléments d’architecture. Certaines œuvres ont parfois même le dessin d’un labyrinthe ou l’apparence d’une petite ville vue du ciel. Tout ceci tinte comme l’expression artistique d’une loyauté filiale, comme un esprit de synthèse aussi, l’inscription pleine et entière dans un univers inauguré par les parents. Marie Morel est aussi pleinement et volontairement une héritière. Dans son héritage, l’originalité tient la part la plus importante.
Marie Morel a quelque chose à voir avec l’abeille aussi, comme elle, elle crée des espèces d’alvéoles tout en ayant un projet de vaste envergure. Elle va ensuite, patiemment, minutieusement, y déposer son art, sa peinture, ses splendides miniatures, ses collages et ses sutures. Il y a de la nonne enlumineuse en elle, de la vitrailliste, de la mosaïste. Et, cases après cases, petits espaces aménagés par petits espaces aménagés, chacune des œuvres a l’allure d’un journal pictural ou de la suite de petits reportages poétiques et existentiels. Il se pourrait qu'elle eût, en enfant de la nature qu'elle est aussi et qui recueille des graines, une parenté avec l'écureuil. Qu'elle eût une volonté, en sertissant ces éléments de vie dans son oeuvre, de s'inscrire dans le réel..Elle héberge à la fois et intensément un être de la culture et de la nature.
Marie Morel, à l’époque furieusement précipitée qu’on traverse et par la minutieuse manière dont elle conçoit chacune de ses œuvres, impose la lenteur. Il faut aller lentement, posément à la rencontre de ses grandes compositions, les lire, les approcher, les apprivoiser et les contempler doucement. Il faut, pour s’y trouver une place, s’accorder au rythme de l’artiste. Des légendes et des phylactères habitent l’œuvre et la singularisent, lui confèrent un singulier ressort, ils lui donnent la parole, une parole poétique, suspendue, une parole qu’il convient là aussi d’apprivoiser. Le trait écrit, - beau, simple, lent, appliqué et réalisé à la plume -, fait partie de la chorégraphie des signes. J’ai souvent eu l’impression que quelque chose danse là-dedans ou vole.
Ce qui m’épate dans l’œuvre, c’est son immense liberté, son audace, sa vitalité, son très large spectre d’action. Il y a là un art cru et beau, allègre, intense, plaisant, il côtoie sans heurt le spirituel, la grâce, la candeur. Oui, c’est de cette exaltante liberté là dont je parlais plus haut. De cette aptitude à se désentraver, à se débarrasser du sécateur meurtrier de son censeur intestin. Le censeur caché en soi est plus souvent un démon qu’un ange gardien. Il peut faire un tort considérable. Ici, merveilleux effet de culture, le censeur a été converti aux exigences de la liberté. Chez Marie Morel, les anges ont un sexe, pas ornemental du tout, un sexe érectile. Je veux parler aussi de cette aptitude à bondir de la chair à l’esprit, de la course de la semence à l’envol des pensées, du phantasme à l’angoisse en passant par l’humour, d’un état mental à un autre, de la coulée intérieure au robinet des idées. De là aussi me vient cette idée de mobilité, de ballet, de danse. Tout peut être ici déposé, tantôt comme un trésor, tantôt comme un fardeau, mais toujours pour contribuer à la vitalité de l’œuvre.
Chaque tableau est un volume, un recueil, je veux dire une collection. La peinture de Marie Morel est un puzzle poétique dont chaque élément peut mener une vie autonome. C’est une marelle à l’intérieur de soi, avec des bonds dehors, un pas en enfer, un autre au paradis, limbes, purgatoire, néant. La marelle est grave et va partout. Elle est alerte, elle est folle, elle est belle. C’est un voyage sur la barque-sofa de Freud glissant sur un fleuve de peinture et d’idées. C’est une affaire étrange qui a, je le suppose, un rapport mesuré avec le rêve, avec l’écriture automatique, avec le souffle et la dictée surréalistes. Marie Morel a des idées comme certains ont des champs de fleurs, avec la même abondance. Son art, c’est un jeu, un vrai jeu, en l’acception que l’on retrouve dans l’expression qui parle de « jouer sa vie ». Marie Morel est un fourmillement d’idées, de mouvements instinctifs, de bulles mentales. Par moments, je pense à des hiéroglyphes. Et puis à des ponts poétiques et vacillants, tremblants (d’émotion) entre l’écrit et le peint. A d’autres moments, je me demande aux fenêtres de quels édifices je me tiens penché, comme une sorte de Gulliver chez les Lilliputiens. Par moments, au travers de cet art prolifique, obstinément vivant, j’ai regard sur mon propre panthéon, sur mes propres collections et sur des fragments de moi. Marie Morel sait qu’un être est un peuple, une œuvre un musée. Marie Morel n’est pas une abeille, elle est la ruche.
J’aime comme tout cela vit, comme tout cela goûte l’intelligence et la subtilité, comme cela semble aussi le flux libre d’un instinct, comme tout cela traverse allègrement toutes les latitudes, comme cela me fait songer à l’orée rupestre de l’art et aux développements de son actualité immédiate, comme cela m’emporte dans ce voyage temporel et spatial, j’aime la façon dont cet art parfois prend pour moi l’allure d’une magie, d’une sorcellerie indienne issue du monde de mon enfance, j’aime cet art qui me fait signe, qui me fait mystère et miroir. J’aime que le monumental résulte de l’assemblement de miniatures, que les miniatures aient le monumental pour projet. Rien n’est petit dans l’être, tout élément participe et contribue à sa vie. J’aime ces échiquiers poétiques où le but n’est pas de gagner mais de vivre, de dire la vie. J’aime ces parcours initiatiques. Ces pointillés qui racontent plus sûrement que le trait continu. J’aime cette œuvre pour l’étourdissant mouvement de délivrance qu’elle porte. Et, dès à présent, enthousiaste, conquis, j’y retourne car il me semble que je ne suis qu’aux premiers jambages de ses prés alphabétiques.