R e n é e G a r l è n e
L ' h e u r e d e l a s i r è n e
D'abord, deux superbes portraits de l'artiste par mon ami le photographe Jean-Claude Sanchez
C'est joli, Renée, pour une femme. Pour un type, à la divine exception de mon vieux maître bien-aimé, c'est une autre affaire, c'est plus étriqué, plus convenu, ça serre davantage aux entournures, ça n'émeut guère, disons, ça flotte à peine au-dessus du médiocre, c'est du linge qui sèche à des vents douteux. Remugles de clopes froids. René, ça me donne aussi à songer à la vétusté des boutons de manchette en toc authentique. René, phénix qui n'en finit pas de calancher et de ramener sa pénible fraise. Et aussi, ça me porte à penser à la bière, à m'en ressouvenir, au fond de rouge, tard, dans la fumée, l'ennui, le bourbon tiède, les chambres à trouver en bord d'aube. A l'odeur d'aisselle lasse, à l'aigreur des ébriétés en bord de Seine, l'odeur rance de la bohème, Notre-Dame-de-mon-Cul, ses gargouilles obscènes, sa pas fraîche volaille, les légendes piétinées de Paname. Paname-Vauvert, Paname-Pétaouchnoque, Paname la dêche et les petites amours chiches. Du faramineux à portée de main. Les serments démesurés, considérables. A de vieux Paris dont je n'ai plus le souci, à des folklores miteux où le matou et la bobo, le chien errant et la chatte à collier se font les yeux doux. Paname de la poétesse câline, amoureuse, serrée tout contre et perdue pour toujours, couverte sous une bâche de temps. Et René-l'Aubaine, foulard noué au cou, casquette couleur merde : "Je vous dégote une turne, pour la nuit, Cythère by night !". Crétins sublimes, révolus. Le goût de ça m'est passé. Je suis dans le confort de ma décrépitude.
Mais Renée, pour une femme, une chanteuse, Renée, ça commence déjà à fredonner. Renée, une âme est incrustée dans un blase ainsi, avec son e muet qui donne, dans l'allongement, une allure de tapis volant, de petit miracle intime et de bise fraîche. Paris sur mer. C'est à cause de la voix qu'elle a, Renée Garlène, une voix claire, une voix qui tient tête à la boue et à l’esbroufe, à la manie très débandante des faiseuses d'effets en rafales, des gerbeuses de vibes, des dégoiseuses du gros kitsch qui tache le tympan. Elle a du clair en réserve, du franc, une ligne sonore qui se suffit à la même, qui tremble et rit et raconte une histoire dont l'épilogue est toujours suspendu, différé. Sa diction distinguée me ravit. Je ne la connais pas, mais c'est certain, il y a du pur en elle, quel que soit le nécessaire cinoche, il en faut, du protocole et des manières, on ne va pas à la scène sans ça. On y serait tout con et penaud, sans manière, sur la scène. Mais, en elle, du pur, de l'intègre, il y en a, c'est sûr. Elle a une voix noble, Renée Garlène, assise dans l'aristocratie rare et naturelle de la chanson française. Les beaux mots, la tournure poétique conviennent à sa voix. Elle a la voix qu'il faut pour un texte qui a de la tenue, des lettres. Elle apporte à ce qu'elle chante sa propre couleur. Elle est de chez Malcolm de Chazal : Chaque oiseau a la couleur de son cri. Elle s'habille de ce qu'elle chante, elle habite ce qu'elle chante. C'est un être intense. Il faut une présence pour tenir le défi. C'est ce que l'on entend lorsqu'elle chante : une présence. Il y a quelqu'un. Toute une vie est là, éclose, debout. Elle est là, claire, oui, mais avec tous ses bagages. Et sa formidable envie de chanter. Son impérieux désir de chanter. Elle a la voix de celle qui ne se résigne pas. Qui est heureuse dans le chant. Qui s'élève par-dessus les galères, sans doute. Elle a une voix qui veut un destin. Et son destin : c'est le chant. C'est une merveilleuse boucle. Sa dignité ? Le chant. Sa vocation ? La voix. Oui, quelquefois, le chant, c'est une dignité. C'est à ça qu'elle me fait songer, Renée Garlène. En nous - derrière les grosses putasseries radiophoniques, les daubes en boucle, l'énorme épicerie internationale, le gavage brutal et permanent -, il y a un appel secret à des voix autres, à du tendre, à du chaleureux, il y a une espérance d'autres oiseaux, d'autres souffles, un appel désespéré à des élégances, des joies, des mots choisis, des tons, des intensités de l'être. Voilà en quoi Renée Garlène est la bienvenue. Heureuse de chanter et coupable d'une contagion délicieuse, ce bonheur vous vient comme un parfum de fleurs et vous enivre.
Avec son taffetas vocal, son satin, sa subtilité, sa délicatesse, les trésors qu'elle invente, son balluchon et son cristal. Et il n'est pas inutile qu'elle ait pour elle cette qualité d'ensorcellement, cette poésie de l'être et ce physique agréable, ce truc en plus qui va avec le visage et la ligne et le sel de la voix. Tout ça, attifé par le talent, fait un bel oiseau. Le swing et le jazz sont avec elle. Elle attendrit, terriblement. Vous étreint parfois le cœur, y met de la nostalgie, de la poussière de pollen, des papillons, une ivresse, des battements. De l'essentiel. Il nous faut cela, impérativement, après le pesant cortège et la consternante litanie des perruches et des cacatoès de la bande fm, par-dessus cette bruyante et synthétique constance du caquètement ou du cocorico, il faut du vrai, de l'élevé, de l'animé dans nos vies, il faut une palpitation à mi-chemin de la gorge et de l'esprit. Il faut quelque chose qui pantelle et qui touche. Qui danse et qui charme, qui donne une chance au frisson. Il faut un enchantement. Elle, Renée Garlène, c'est une enchanteresse. Moi, je recueille cette voix qui interprète Ferré, Brassens, Barbara, Bruant, qui jazze et roule sa houle et sa bossa entre l'Espagne et le Brésil. Disons l'Amérique latine. Et puis, il y a d'irrésistible que Renée a une petite coquetterie dans le j, dans la façon dont elle le fait glisser, dont elle l'ourle d'un zeste de velours. C'est rien, deux fois rien, un petit carat supplémentaire à son talent d'interprète. Belle créature devant la machine harassante, l'usine à décibels. Car oui, dans ce déferlement, dans cette machine qui impose et prescrit, nous perdons aussi notre liberté, celle qui consiste à chercher et à choisir des interprètes à notre mesure et à notre goût. Mon espoir est qu'il existe une place, un espace, un bel endroit et une heure pour les sirènes de notre choix. Aux côtés de la sirène ailée, il y a notamment, je dis notamment car il y a plusieurs musiciens avec elle, un type qui assure, un guitariste chevronné, inventif, un type virtuose et qui signe des arrangements soignés et allègres qui me bottent particulièrement. Je parle de Rodolphe Raffalli. Ses guitares sont vivantes, alertes, vivaces, elles chantent en joie, alertes, sonores, elles tintent, elles halètent, elles rigolent, elles roulent des biscotos, elles cascadent mais en souplesse, en grâce, en hercule ballerin. Elles s'accordent à l'oiseau. C'est un élégant, lui aussi, et son habileté est savoureuse. Oui, bien sûr, c'est une aubaine, un guitariste de cet acabit. Il a le sens, - à l'écart de la démonstration, tout en finesse, en subtilité, de la haute couture. Il vêt superbement l'oiseau qu'il fait chanter. On le sait, j'aurais de la peine si mes propos effarouchaient le péquenot, le clampin ou le cave élémentaire, mais j'ai à cœur quand même de dire que la chanson ainsi envisagée, c'est poudré d'un délicieux parfum de culture et de poésie. Je n'ai pas dit que c'est guindé, j'ai seulement voulu dire que c'est précieux. Oh, les beaux artisans, oh la belle fée, l'oiselle, oh, le joli luthier, l'instrumentiste avisé, bravo, artistes ! Pour vous deux, jolis passants, des vents et des étoiles que je souhaite favorables.
Au répertoire : la chaîne de Renée Garlène
https://www.youtube.com/channel/UCUeXsf5KuEe5YOoSnIxpu0Q
Son espace personnel
https://www.facebook.com/reneegarlene/
Pour Rodolphe Raffalli
https://www.facebook.com/rodolphe.raffalli.1?fref=ts