ANNETTE MARX
Le rouge dans tous nos états
Dès mon premier contact avec un tableau d’Annette Marx, une sorte de dialogue entre sa peinture et moi s’est établi. Je me suis trouvé happé dans ce magnétisme rouge où des signes, des traces, des indices se mêlent à des accents de couleurs. Je me suis trouvé engagé dans ces bouillonnements, ces nuances, dans cet orage de vitalité rouge. Je me suis trouvé engagé dans ces strates de rouges, dans ces émergences de bleus, dans les ourlets où ils s’affrontent et s’épousent. Je m’y suis trouvé comme en moi-même, comme dans les traductions picturales de ces déchirements qui résultent en moi des attrapades entre le physique et le métaphysique, entre la lourdeur du sang et l’immatérialité de l’éther. Dans les rouges d’Annette Marx, j’ai reconnu, comme parentes d’images ou de métaphores qui sont et vivent en moi, le rouge chaud du sang, le rouge du péril et de la plaie, le rouge de la vigueur, de la sensibilité, le rouge de la colère, le rouge du carburant essentiel. Le rouge d’Annette Marx est celui du mouvement physique de sa peinture, le rouge où l’on devine le corps en action, les séismes du poignet, l’impulsion, l’élan. Et là-dedans viennent se greffer des bleus médités, des verts réfléchis, des noirs, des jaunes, des incisons, des éléments collés, des griffes, des traits. Des grands mouvements accompagnés de petits gestes. L’élan et la minutie. La force et la précision.
Ce rouge, lorsque progressivement on l’apprivoise, lorsqu’on distingue ses mues, ses degrés, ses températures, n’est plus seulement métonymie de la matière, du liquide, il acquiert, lui aussi, une sorte de volatilité. Il n’y a plus le rouge de l’hémoglobine contre le bleu céleste, on découvre un rouge céleste, on découvre une parole du rouge, on découvre l’enveloppement de petits signes graphiques – cicatrices, marques, sutures, frontières et intersections – dans un ciel rouge par-dessus une terre bleue.
On dirait que l’annonce nous est faite d’une libération du rouge. Le rouge est arraché à ses significations ou à ses associations habituelles, il s’émancipe dans une sorte d’épurement, il entre en métaphysique, il y a désormais une âme rouge. Il y a un cycle du rouge. Rouge liquide du sang qui s’évapore, monte et forme des nébulosités rouges, composent des ciels rouges qui génèrent des pluies rouges. Parti du corps, le rouge d’Annette Marx est devenu un rouge spirituel que les précipitations rendront à son état de liquide essentiel.
Parfois, le rouge n’est présent que par indices, dans une brume bleutée, comme un ciel rouge lisible à travers des fumées. Parfois le rouge est celui de la terre que borde un océan bleuté. Le rouge d’Annette Marx convoque les interprétations. Il est ardent, il cherche en nous des échos de lui-même. Ou bien nous rappelle-t-il qu’il est, dans sa terrible et formidable complexité, nôtre ?
Dans ce rouge, dans les états de ce rouge, dans ce rouge présent seulement parfois par touches, dans cette immense abstraction dominée par le rouge, il y a nos portraits, non pas la reproduction de nos traits, mais la singulière mise en couleur(s) et en espace – comme on parle de mise en scène –, de nos mondes intérieurs complexes, changeants, incertains, de nos pensées oxymoriques, de nos chimies et de nos alchimies secrètes, de nos plombs changés en ors, de nos ors redevenus plombs et de l’incessant cycle de notre instabilité rouge.
L’ardent univers pictural d’Annette Marx développe une réelle puissance d’interpellation et de captation. On dirait qu’il nous hèle impérieusement, un peu comme la muleta magnétise le taureau. Toutefois sa patiente observation nous révèle que la relation qu’il établit avec nous se vit aussi dans la nuance, dans un relief d’intensités, dans la sensibilité et dans l’introspection, dans le jeu peut-être aussi. Ce rouge est aussi une infusion de rouge.
Dissolvant peu à peu les masques qui l’incarnent habituellement, le rouge d’Annette Marx est le tumultueux, le vivant, le mobile point de convergence de tous les états de nos lumières intérieures. Il les rend avec leur torse solaire, leurs basses épaules de crépuscule, leur fragile disque lunaire, leurs brumes incertaines, leurs accès de toux, leurs tourments giratoires, leurs anémies et leurs vigoureux élans. Car oui, il me semble qu’il s’agit aussi et surtout d’un rouge spéculaire, un miroir rouge qui nous regarde et dans lequel nous nous regardons avec la curiosité fascinée d’aveugles un instant délivrés de leur cécité. Etonnant, passionnant, exaltant sursis rouge.
Abstractions rouges
Denys-Louis Colaux parmi les carrés rouges d’Annette Marx
LETTRES ROUGES
R, o gué
0, grue
U, orge
G, roue
E, gour
LE BONHEUR ROUGE
Tout le bonheur
est rouge
son socle
et sa dislocation
rouges
le merveilleux pré
de son champ de bataille
rouge
NATURE ROUGE
Une poignée de noix rouges
L’éclair roux d’un renard
La braise pourpre de son cœur
L’ourlet rose entre ses jambes
L’aube comme un grand chien rouge
vient dormir à ses genoux
CATALOGUE ROUGE
Le rouge des anges
des auges et des songes
le goût orange
du rouge
Le jour assis tout entier
dans la grange
sur quoi nage
la lourde roue de l’orage
DU ROUGE AVEC LE BLEU EN ALLÉ
Le rouge infuse
son âme
comme un sein de femme
le bleu intime de son lait
IL ME FAUT À PRÉSENT
Il me faut à présent
le rouge savant du livre
le rouge ondulé du poisson
le rouge vivant du sang de femme
le rouge ivre de Bourgogne
le rouge caché de la neige
le rouge tiède de Maman
qui soufflait sur mes doigts gelés
toute la forge de son âme rouge
ACCÈS ROUGES
Clous rouges dans l’azur
Roulures
Une Peau-Rouge à Cannes
assise sur les marches du Palais
Cerise assoupie
dans le nid
de ses commissures
Braquage rouge : butin quinze briques
Putain le cinoche onirique
Clodo cosmique
Ce qu’il fallait que
Carmen incarnât
Sur mon ombrelle
averse rouge
à n’en pluie finir
Rossignol dans ma tête
entre deux idées noires
Dans la doublure de mon silence
crête et cocorico
coquelicot dans l’écho
Sous un ciel de briques
le phénix renaît de ses abattis
Spoutnik et pétanque dans les étoiles
Les fleuves rouges
descendus comme des chacals
feu en plein flot
vaisseaux traversés
des fleuves qui se meurent
Ma moitié d’ogre
ma moitié d’ange
quartier d’orange
Poisson sur la piste de la poêle
Flaque de sang sur l’Antarctique
Divan rouge du boudoir
où j’endormais mes humeurs noires
Absence dans l’absinthe
Giration dans l’œil rouge
de la fée albinos
Autour de l’étal où dorment les idées
valsent des cercles
de mouches rouges
et
l’aspirine d’un halo d’ange
Dans l’évier les concepts
découvrent
l’apparence du marbre
et le goût du savon
Stendhal et le noir
Le rouge amoureux
de son passage sur la toile
les troupeaux d’hippocampes
descendent dans la mer
que de longs voiliers rouges
font trembler sur ses pilotis
Esquimau dans Malmö
l’appeau rouge attire la Squaw
buffle bleu épinglé dans Lascaux
au ciel je tousse
entre deux afflux d’encens
Site :
http://www.annette-marx.de
Annette Marx s’exprime
Conception
Il est ce rouge…
L’axe principal de ma peinture, c'est la confrontation avec la couleur, surtout avec la couleur rouge. Le rouge est pour moi la couleur principale. Le rouge, la première couleur à laquelle le peuple a donné un nom représente pour moi principalement l'énergie. Le rouge est un symbole de danger et est synonyme de chaleur, de passion et d'amour. Rouge signifie sécurité et crée de l'agressivité. Le rouge est le symbole des émotions contradictoires et des pensées. Il s’agit de capter la couleur dans des espaces de pensée, de suivre les différentes ambiances, les impressions subjectives de la réalité, puis de transformer les espaces de la pensée en espaces de couleurs.
Je vois mon travail comme des projets qui traitent des thèmes sous différents aspects sur une longue période. Il en résulte des séries de tableaux qui reprennent certaines variantes des thèmes. Je préfère travailler avec des formats carrés. En partant du fait que mon travail montre des fragments, le format carré est le plus apte à représenter les parties d'un ensemble. Les peintures constituées de plusieurs tableaux en interaction sont composées par des tableaux carrés ou forment une peinture carrée. Les bords sont peints et incorporés dans les tableaux. Les surfaces des tableaux ne sont pas limitées. Cela permet une extension maximale. L'idée d'une image est créée avec une esquisse vague et est l'expression de l'instant, mais elle est séparée dans le temps de la réalisation artistique.
Il s’en suit des couches irrégulières de couleurs et de matériaux. Au cours de cette phase, il est important de suivre les traces de structures émergentes ou de les brouiller, d'enquêter sur des soupçons, de compléter des formes et de faire naître l'image par le biais du jeu subtil de légères allusions. Chaque couche est précieuse dans sa matérialité, elle peut être visible et le rester et elle est immanente à l'œuvre. Les couches sont repeintes, cassées, brisées, coupées, gravées à plusieurs reprises.
Mes éléments de conception sont, entre autres, des surfaces de couleurs. Je place les couleurs dans mes peintures de façon intuitive. Des constellations de couleurs expressives dominent. Je fais confiance à la force pour créer des espaces de couleurs en liaison étroite avec les matériaux. D'autre part, je travaille aussi avec un ensemble de lignes ludiques. Lignes marquées ou même suggérées, et avec des formes irrégulières. Des lignes et des accents tracés à la craie, fragiles, ou encore délicats avec un crayon de graphite ou bien encore « grattés». Parfois ces lignes peuvent devenir des objets interprétables, sans prendre un caractère anecdotique.
La couleur est essentielle et non pas liée à des objets. Je travaille avec des détails qui séparent les surfaces ou les assemblent et rendent visibles les champs de force qui agissent les uns contre les autres. Manifestées par le jeu de couleurs et de lignes des surfaces, on y aperçoit la force et l’énergie, mais en même temps la fragilité et la douceur. Il s’y crée des motifs élémentaires, des compositions ouvertes qui sont profondément authentiques. Cela crée et des espaces de silence et des espaces pleins de dynamisme, remplis par la dynamique des couleurs et des lignes. Ils sont interdépendants et présents dès le début du processus de travail dans un dialogue réciproque. La fin du processus est imprévisible. Un tableau n’est terminé que lorsque ses relations de force sont justes. Autrement dit, si les champs de force sont équilibrés, le dialogue se poursuit. Le spectateur participe à ce dialogue, au jeu de la réalité et de l'irréalité, dans lequel il s’embarque, auquel il associe sa propre réalité. Il complète le dialogue avec sa propre imagination.
Biographie
née à Völklingen / Sarre (D)
1994 - 1998 l'éducation artistique à l'Académie d'été Sarre Wadgassen.
Peinture libre avec Alain Simon, Nancy et Leslie Huppert, Sarrebruck.
Dessin de Jean-Louis Guermann, Nancy et Francis Berrar, Sarrebruck.
Peinture libre à l'Académie européenne de Trèves.
Depuis 1998, une collaboration intensive avec la peinture abstraite.
Collaboration avec le Service Little Van Gogh Art à Bad Honnef.
La coopération avec les différentes galeries (Sarre et Rhénanie-Palatinat)
Expositions individuelles et collectives
Divers projets d'art (école de peinture des enfants, des ateliers pour les adultes et les activités artistiques)
Expositions en Allemagne, en France et en Belgique.
Vit et travaille à SarrebruckNée à Völklingen / Sarre.
1987 - 1990 études en administration des affaires, Département de la gestion de l'information à l'Université de Sarrebruck sciences appliquées, diplôme en gestion d'entreprise. Profession à temps partiel dans le domaine de l'informatique.